Cataractes
par Manon Tremblay DMV
Lucien le gris d’Afrique maladroit
Lucien a toujours été un perroquet nerveux et maladroit. Il déteste se faire toucher et il est le champion des cascades inusitées. Combien de fois a-t-il atterri dans la corbeille à papier? Dans son effort pour se sortir de cette situation plutôt gênante, il accroche son bec au rebord du léger panier d’osier et le fait basculer sur le côté. Le voilà de nouveau victime d’une situation embarrassante qui a pour effet de blesser encore plus son amour propre chatouilleux. Louise ne compte plus les fois où elle l’a rescapé de ces situations précaires. Lucien ne se dompte pas, il recommence encore et encore ses envolées périlleuses. Il y a une dizaine de jours, il est tombé pour la première fois sur le cactus. Heureusement, il ne s’est pas blessé. Louise n’a remarqué aucune goutte de sang. Bien qu’il soit demeuré plus calme pendant cette journée et qu’il avait tendance à cligner plus fréquemment de l’œil droit, personne ne s’est inquiété pour sa santé.
Dernièrement, l’œil de Lucien a changé d’apparence. Un point blanc est apparu en son centre. L’oiseau est apporté chez le vétérinaire. L’examen ophtalmologique a révélé la présence d’une toute petite blessure pénétrante au niveau de la cornée. L’objet pointu (épine du cactus), en plus d’avoir transpercé la cornée, a traversé la chambre oculaire antérieure pour enfin aller blesser le cristallin du perroquet. La conséquence de cette blessure: ulcère cornéen, uvéite (infection de la chambre antérieure de l’œil) et déchirure de la capsule du cristallin avec formation secondaire d’une cataracte.
Louise n’aurait jamais cru qu’une petite épine de cactus pouvait faire autant de dommage, d’autant plus qu’aucune lésion oculaire n’était visible à l’œil nu. Elle avait quand même noté que son oiseau avait tendance à tenir son œil un peu plus fermé et que son pourtour était un peu plus mouillé qu’à l’habitude, mais ces symptômes mineurs ne l’avaient pas alarmée. L’œil de l’oiseau a été traité avec succès en ce qui concerne l’ulcère et l’uvéite mais la cataracte est demeurée. Lucien est donc aveugle de l’œil droit mais sa vision est excellente à gauche. En perdant la vision d’un œil, il perd cependant sa capacité de bien voir en trois dimensions. Il n’est donc plus en mesure de bien évaluer les profondeurs et les reliefs.
Pépé, l’amazone gériatrique
Pépé vit auprès des humains depuis au moins vingt-cinq ans, minimum ! Il a été contraint d'accepter de vivre en captivité en 1951 alors qu’une bande d’enfants l’a kidnappé de son nid. Un voyageur de l’époque (le grand-père de Sébastien) l’a acheté de ces enfants. Il avait été pris de pitié pour ce petit oiseau trimballé avec peu de délicatesse et voué à une mort certaine. Très rapidement, Pépé s’est lié d’amitié avec son sauveteur et les deux amis sont revenus vivre à Montréal. Au décès de son grand-père, Sébastien a récupéré Pépé. Il lui avait fait la promesse solennelle d’en prendre bien soin lorsqu’il partirait. À 53 ans, Pépé est un oiseau âgé heureux et en santé. Cependant, à son dernier examen physique annuel, Sébastien a mentionné à son vétérinaire qu’il avait vu apparaître au centre des deux yeux de son oiseau, une tache blanche. Pépé n’a démontré aucun signe d’inconfort. Diagnostic du vétérinaire: cataractes. Sébastien apprend avec grande stupéfaction que la vision de Pépé est presque nulle. Il ne peut que distinguer les ombres. Il est donc considéré non voyant. La surprise est d’autant plus grande, car Pépé n’a jamais laissé supposer à quiconque qu’il était aveugle. Sébastien avait bien remarqué qu’il devenait plus calme et prudent dans ses déplacements, mais il avait relié ce changement de comportement au fait que l’oiseau devenait vieux et plus sage.
Charlie, le jeune ara
Bébé nourri à la main, Charlie est un oiseau tout à fait attachant. Il est pétant de santé et est des plus joueurs. Dernièrement, Sophie a remarqué qu’il était prudent dans ses déplacements. Ce matin, il a même perdu pied en voulant passer d’un cordage à l’autre. Il n’avait pourtant jamais éprouvé de difficulté à s’amuser dans son coin de jeux. Charlie est donc amené chez le vétérinaire. L’examen minutieux de ses yeux indique que les cristallins de Charlie commencent à s’opacifier. Des cataractes sont en formation, elles vont éventuellement voiler complètement sa vision. Il sera alors aveugle.
La cataracte
La cataracte est l’opacité totale ou partielle du cristallin qui se trouve juste derrière l’iris. Le cristallin est une lentille transparente dépourvue de vaisseaux sanguins et son rôle est de diriger les rayons lumineux qui entrent dans l’œil vers les cellules photoréceptrices de la rétine. Une tache grisâtre qui se forme au centre de l’œil et qui s’intensifie graduellement est caractéristique de la cataracte. Tout d’abord, la vue se voile, puis éventuellement, il y a perte de vision. La cataracte affecte un ou les deux yeux.
Elle est soit: la complication d’une infection oculaire précédente, une complication du diabète, la conséquence d’une blessure à l’œil, la conséquence d’un défaut génétique, le résultat de l’hérédité, le résultat d’un processus normal de vieillissement, le résultat d’une exposition chronique ou exagérée aux rayons ultra-violets du soleil, la conséquence de déficiences alimentaires (exemple: chez la volaille, les jeunes développent des cataractes lorsque leur mère a été privée sérieusement de vitamine E), la complication d’une exposition à certains agents toxiques.
L’apparition d’une cataracte se fait plus ou moins rapidement selon ce qui l’a provoquée. En général, le processus se fait graduellement et l’animal a donc le temps de s’habituer à sa nouvelle réalité de non voyant. L’euthanasie n’est pas du tout recommandée pour un oiseau aveugle. Le degré de perte de vision varie en fonction de l’endroit où se forme la cataracte dans l’œil et de sa grosseur. Une cataracte est beaucoup plus dérangeante lorsqu’elle apparaît au centre du cristallin par rapport à son pourtour. Elle peut être très petite, voire quasi imperceptible, ou couvrir toute l’étendue du cristallin.
Grossièrement, on peut classer les cataractes selon:
Âge de l’apparition:
- Cataracte congénitale. Elle est présente à la naissance et peut être le résultat d’une malformation embryonnaire, la conséquence de la prise d’un médicament ou d’une substance toxique par la mère ou tout simplement être héréditaire. Certaines familles d’oiseaux se transmettent le problème de génération en génération.
- Cataracte juvénile: Elle survient en bas âge.
- Cataracte sénile: elle apparaît en vieil âge et est associée au processus normal de vieillissement. C’est de loin la cause la plus fréquente de cataractes chez les vieux oiseaux.
Localisation anatomique dans le cristallin:
- Dépendamment où la cataracte se trouve au niveau du cristallin, elle peut changer de dénomination (exemples: capsulaire antérieure ou postérieure si elle se forme soit sur la capsule du cristallin antérieure ou postérieure, corticale ou nucléaire dépendamment de sa position à l’intérieur du cristallin.
Primaire ou secondaire:
- Une cataracte peut être primaire, c'est-à-dire qu’elle n’est pas la complication d’un autre problème (exemple: causée par la vieillesse) ou secondaire (exemple: complication du diabète).
Degré de maturité :
- Une cataracte peut être très jeune et ne pas être encore opaque (cataracte insipide), être mature si elle implique tout le cristallin et qu’elle est totalement opaque. L’animal est alors aveugle. La cataracte peut également devenir hypermature en se débarrassant elle-même de son contenu opaque. La vision est de nouveau fonctionnelle malgré un léger manque d’acuité causé par la capsule ridée du cristallin vide.
Bien qu’un oiseau aveugle puisse vivre heureux, il est de mise d’envisager lui redonner la vue si sa condition physique le lui permet. La chirurgie de la cataracte est effectuée chez les oiseaux avec les mêmes technologies disponibles chez les humains. Un vétérinaire spécialisé en ophtalmologie peut facilement enlever une cataracte incommodante chez un oiseau. Cependant, ce ne sont pas tous les oiseaux qui représentent de bons candidats pour cette procédure. Chaque cas doit être évalué séparément.
Tout d’abord, on privilégie les individus complètement aveugles. La chirurgie peut être faite sur un ou les deux yeux. Parfois, des considérations économiques ne permettent la chirurgie qu’à un seul œil. Cela est tout à fait acceptable, car la vision est quand même recouvrée. Le patient idéal pour cette chirurgie se laisse facilement manipuler et n’est en aucun temps stressé par l’administration de médicaments qui seront nombreux après la chirurgie. Il doit aussi être coopératif, car plusieurs examens ophtalmologiques seront nécessaires pendant la convalescence. Finalement, une excellente santé physique est requise. Par exemple, il ne serait pas recommandé d’opérer un oiseau diabétique. Toute infection de départ doit également être bien guérie avant de procéder.
Reprenons ici le cas de nos trois oiseaux du début
Lucien avec sa cataracte unilatérale, mature, survenue secondairement à un trauma n’est pas un candidat idéal pour la chirurgie. Il est très nerveux, n’aime pas se faire manipuler et panique facilement quand on essaie de lui donner un médicament. Bien que son uvéite ait bien guéri et qu’il soit en bonne santé générale, il est préférable de le laisser ainsi. Sa vision est encore bonne à cause de son autre œil.
Le vieux Pépé a pour sa part des cataractes bilatérales, primaires et séniles. Il est complètement aveugle. Son bilan de santé est excellent (examens physique, ophtalmologique et sanguin) et il se laisse facilement manipuler. La chirurgie à un seul de ses yeux serait suffisante pour lui redonner une bonne vision, mais Sébastien préfère que les deux soient opérés.
Charlie est aux prises avec des cataractes juvéniles, bilatérales, primaires et insipides. Charlie est jeune et en excellente santé. Sa propriétaire envisage faire effectuer la chirurgie, mais son budget ne lui permet qu’un seul œil soit opéré. Comme Charlie voit encore assez bien en raison de ses cataractes pas encore matures, la procédure sera faite un peu plus tard. Cela donnera la possibilité à sa maîtresse d’amasser les sous nécessaires.
© Manon Tremblay 2005
Photos
Tina, gris d'Afrique (psittacus erithacus erithacus), Aveline Wursch
Amazone à front bleu, (amazona aestiva), CAJV
Turquoise, ara bleu et or (ara ararauna), Christine Cadoux
Bébé, conure de Finsch (aratinga finshi), CAJV