Créer de toutes pièces un problème de comportement avec son perroquet

par Johanne Vaillancourt

Premier cas

Laissez-moi vous raconter l'histoire d'un oiseau prénommé, Mae West.

Mae West était une petite femelle cacatoès Alba des plus dépendantes qu'il m'ait été donné de rencontrer. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle avait été abandonnée au refuge que j'opérais il y a quelques années. Mae West était un oiseau imprégné à l'humain (EAM), n'ayant reçu qu'une très très pauvre socialisation.

Elle n'avait qu'un seul but dans la vie… se blottir dans les bras d'un humain et elle faisait alors preuve de la plus grande tendresse qui soit. Malheureusement, la petite Mae West avait été adoptée très jeune (en fait trop) par un couple qui faisait beaucoup de cas des fientes de la demoiselle et qui, pensant bien faire, avait mis beaucoup de temps à lui enseigner que pour se faire prendre dans les bras, elle devait préalablement se soulager, afin de ne pas risquer de souiller leurs vêtements.

Pôvre Mae West, elle qui ne désirait qu'une seule chose, se pelotonner dans les bras d'un de ses humains, mais qui malheureusement, ne pouvait physiquement pas produire la quantité de guano exigée en retour.

Alors la petite Mae West s'est mise à pousser et à forcer chaque fois qu'elle désirait qu'on la prenne dans les bras, c'est-à-dire, le plus clair de son temps dans la journée, afin de produire le précieux liquide qui dans sa tête était devenu le passeport vers son désir de se faire cajoler.

Naturellement, ce qui devait arriver arriva… À force de tellement pousser, Mae West en est venu à l'extrême et s'est provoquée un prolapsus du cloaque…

Comme Mae West avait été bien conditionnée à agir de la sorte pour avoir la permission de venir sur l'humain, le problème s'aggrava à un point où on ne comptait plus les visites en urgence chez le vétérinaire, ce qui vous le savez bien engendrait des coûts exorbitants.

Suite de l'histoire… Abandon à mon refuge

Il m'a fallu beaucoup de temps et de patience pour convaincre Mae West qu'elle n'avait pas à se faire du mal pour mériter mon attention et qu'il y avait en ce bas monde beaucoup d'occupations et d'activité autres que de se lover dans mes bras.

Voilà un bel exemple où l'humain avait créé de toutes pièces un sérieux problème de comportement chez un perroquet, qui au départ était tout à fait sain, simplement en exigeant l'impossible et par méconnaissance des processus d'apprentissage de l'oiseau et de ses capacités d'interprétation d'une situation.

Ne vous en faites pas l'histoire finit bien. Après trois ans passées au refuge à observer les autres perroquets, sa condition s'était vraiment beaucoup améliorée. Elle avait appris à jouer, à s'occuper et surtout, qu'il n'y avait plus aucune exigence rattachée au plaisir de recevoir la tendresse dont elle avait tellement besoin. Mae West a pu être replacée dans un foyer aimant et compréhensif, bien au fait de son problème. Il y a bien eu quelques rechutes de temps à autres … mais qui oserait lui jeter la première pierre…

Ça, c'était quand même une situation relativement évidente… mais il y a plus tordu. Il y a des comportements qui sont innés, présent dès la naissance chez l'espèce et il y a des comportements qui sont acquis, qui proviennent des expériences de l'oiseau et des stimuli de son environnement soit:

En agissant.
En faisant des associations.
Par l'observation d'autrui.

Je ne reviendrai pas plus qu'il ne le faut sur le sujet, je crois que depuis le temps on en a fait le tour, mais tout de même… ce n'est pas toujours facile de démêler l'inné de l'acquis…

Lorsqu'on parle de problèmes de comportement chez nos perroquets, on a tendance à faire référence aux hurlements et aux agressions. Pourtant, dans ces petites notions d'inné et d'acquis se retrouvent des facettes un peu plus singulières des comportements de vos oiseaux…. D'où l'importance de connaître (au moins un peu) l'éthogramme de l'espèce avec laquelle vous négociez…

Deuxième cas

Il y a peu, un monsieur me téléphone en panique parce que son jeune cacatoès des Moluques de 6 mois (sevré) a, selon lui, développé de sérieux problèmes de comportement. Il hurle toute la sainte journée et commence à démontrer de la "dominance" par des agressions de plus en plus fréquentes.

De plus, l'oiseau refuse de s'alimenter : il refuse les grains, les extrudés et ignore totalement les fruits et légumes. Il va sans dire que l'oiseau a beaucoup maigri et le que client est affolé.

Selon vous, est-ce anormal qu'un jeune cacatoès de 6 mois hurle de la sorte, qu'il soit si agressif?
Selon vous, est-ce anormal qu'un jeune cacatoès de 6 mois refuse de s'alimenter?
Est-ce que nous sommes réellement en face d'un problème de comportement?

Je vais vous mettre sur la piste… Si je vous dis que le début de la période d'indépendance du jeune cacatoès arrive à peu près vers cet âge et qu'à cette période de sa vie, le jeune perroquet entame timidement une phase d'émancipation par laquelle il doit apprendre à survivre par lui-même?
Qu'est-ce qui cloche ici selon vous?
Qu'est-ce qui manque à cet oiseau?

La réponse est… Il lui manque tout simplement le modèle!

Si l'oiseau arrive au début de sa période d'émancipation, il doit nécessairement commencer à explorer.
L'exploration alimentaire est normale à cet âge, il doit commencer à apprendre à se nourrir de manière autonome (sous la supervision de ses parents). C'est de façon naturelle ce que ce jeune cacatoès cherche à faire. C'est un comportement inné, il est programmé pour commencer à essayer d'agir seul à cet âge!

N'oubliez pas que les comportements innés sont inscrits dans les gènes de l'espèce et que le patron d'activité est le même d'une fois à l'autre.

Maintenant, le jeune cacatoès a besoin de repères pour s'émanciper, il a besoin de modèles à observer pour acquérir les compétences qui lui seront nécessaires pour sa survie. Mais voilà, il n'en a pas!

Même avec la meilleure volonté du monde, le client ne peut transmettre au jeune cacatoès l'art et la manière de décortiquer une graine… ou encore, lui enseigner que c'est à l'intérieur que se trouve la partie comestible … Bref, il ne peut donc pas jouer le rôle de modèle que les parents ou autres oiseaux du groupe devraient jouer en période de sevrage dans des conditions normales, dans son milieu naturel…

Alors, ce n'est pas le jeune oiseau qui n'est pas normal, c'est la situation, le milieu dans lequel il évolue qui n'est pas conforme à ses besoins.

Le jeune oiseau ne fait qu'agir selon son programme génétique et ce dernier est conçu en fonction de son milieu naturel, dans lequel le jeune devrait être supervisé par ses parents, qui, au début de sa période d'indépendance espacent les becquées, servant essentiellement de modèle dans l'acquisition des compétences pour survivre et incitant le jeune à les imiter.

Dans un milieu artificiel, il devra donc faire ses apprentissages tout seul, à tâtons, par beaucoup d'essais et autant d'erreurs. Puisqu'il n'y a pas de modèle à observer et imiter pour parfaire son apprentissage, le temps dévolu à celui-ci risque de doubler et même tripler le temps normalement imparti à cet apprentissage dans une situation naturelle.

À ce moment, le jeune perroquet élevé à la main aura besoin de l'intervention de l'humain. Celui-ci devra insister sur la becquée, afin de prévenir les carences chez le jeune, pour ensuite, une fois son jabot bien rempli, lui présenter différents aliments pour tenter de susciter son intérêt et l'inciter par divers renforcements qui seront fabuleusement positifs pour lui.

Le jeune perroquet ainsi rassasié et sécurisé commencera par jouer avec cette nourriture, il apprendra à la manipuler jusqu'à ce qu'il découvre par lui-même qu'il peut la consommer… pas une mince affaire ça!

Donc, le comportement inné ici est: le comportement d'émancipation, qui lui se manifeste dans les temps, selon le programme génétique de l'oiseau. Et le comportement à acquérir est: identifier la nourriture, apprendre à la manipuler, l'apprêter pour finalement la consommer. Il est évident que dans un contexte de captivité, l'acquis ne peut se mettre au diapason de l'inné puisqu'il manque un élément essentiel pour l'oiseau… le modèle. On pourrait alors parler de décalage entre l'inné et l'acquis créé par le milieu.

Si l'humain ne sait pas reconnaître à temps ce genre de problématique lorsqu'il tente de se substituer aux parents naturels de l'oiseau, le jeune perroquet fera ses débuts dans la vie dans une grande insécurité et risque de développer toutes sortes de problèmes inhérents à l'anxiété que le manque de sécurité peut créer par une période de disette au tout début de sa vie.

Le jeune perroquet aura faim, très faim, mais ne saura pas comment se nourrir, vous voyez le tableau… À ce moment, il se peut que le jeune cacatoès développe des comportements que l'humain considérera "problématiques", tels que mordre ou crier, tout simplement parce qu'il est affamé…

Ensuite, l'humain essaie de se renseigner (comme il peut), mais il y a de forts risques que son interprétation des événements soit erronée et qu'il donne de mauvaises informations… comme ce client-là fit avec moi….

Il me mord, il est dominant (misère).
Il refuse de manger, il fait des caprices, son bol est rempli, il jette la nourriture par terre et il se met à hurler…
Je vous appelle parce qu'on m'a dit qu'il n'est pas normal, qu'il a un problème de comportement (re-misère).

Et lorsque je tente d'expliquer au client (t une bonne heure) ce que je viens de vous résumer en quelques lignes, sa réaction demeure… "Comment peut-il avoir faim alors qu'il y a plein de nourriture dans sa cage? Il est agressif et il hurle il a forcément un problème de comportement"… Point final!

Alors, le monsieur m'envoie paître (ce n'est pas la réponse qu'il voulait entendre), réaffirme que son cacatoès a un "problème de comportement" et coupe la communication.

Que pensez-vous qu'il adviendra de ce jeune cacatoès des Moluques? Qui n'a jamais lu sur le mauvais tempérament de ces oiseaux, sur les hurlements et l'agressivité légendaire du cacatoès de Moluques?

Pourquoi je perds mon temps avec des types pareils?

Photo
Chichou, cacatua alba (cacatoès blanc), CAJV