Être ou ne pas être nourri à la main?
par Geneviève Desrochers, intervenante en comportement
Ma passion pour les oiseaux est presque aussi vieille que moi. Dès que j’ai atteint un âge responsable, ma grand-mère m’a offert une petite perruche. Elle était blanche et bleue et se nommait Kim. Malgré mon peu de connaissances et le peu de temps que je lui consacrais, elle était franchement adorable. Elle aimait partager nos repas, volait vers nous à l’appel de son nom et, bien sûr, disait quelques mots. "Y’a rien là, direz-vous? "Mon/mes oiseau(x) fait(font) beaucoup plus." Vous aurez sûrement raison. Par contre, Kim pouvait se vanter de quelque chose dont peu de psittacidés peuvent, aujourd’hui: elle avait été élevée par ses parents!
Les humains ont gardé des perroquets comme animaux de compagnie depuis des centaines d’années et ces oiseaux venaient directement de leur habitat naturel. Peut-on sincèrement croire que pendant toutes ces années, aucune belle complicité humain/perroquet ne s’est développée? Ce serait bien fantaisiste de le croire. La différence d’avec aujourd’hui, c’est qu’ils prenaient le temps de les apprivoiser, leurs perroquets. D’ailleurs, "apprivoiser", qu’est-ce que ça veut dire exactement? Notre ami Larousse y répond en ces termes: "du latin privatus, domestique. Rendre moins sauvage, rendre plus docile, plus sociable". Évidemment, rendre un animal sauvage plus docile et plus sociable demande du temps, de la patience et des efforts. Mais n’est-ce pas aussi ce qu’il y a de plus gratifiant? Aurait-on voulu couper court dans ce processus en inventant le nourrissage à la main? Peut-être.
Nourri à la main. Cette pratique est apparue il y a seulement une vingtaine d’années. Et aujourd’hui, c’est la caractéristique par excellence, le qualificatif suprême que l’on recherche lorsqu’on veut se procurer un oiseau de compagnie. Nourri à la main, c’est presque la garantie d’un oiseau domestiqué, amical, confiant et qui va rapidement s’attacher à sa nouvelle famille. Bref, c’est très vendeur et ça semble même vrai dans la plupart des cas. Mais force est de constater que bien des "bonnes idées" humaines ont amené des effets secondaires navrants. Quels pourraient-ils bien être avec les perroquets?
L’expression "imprégné aux humains", ça vous dit quelque chose? Le Larousse définit "imprégner" en ces termes: "Pénétrer de façon profonde, en parlant d’une influence". Vous connaissez sûrement l’histoire du jeune Tarzan, élevé dès son plus jeune âge par les gorilles. Les films et les dessins animés basés sur cette histoire font sourire. Mais Tarzan, lui, était désemparé. Il voulait être comme sa famille (ça aurait dû être le cas) mais ne comprenait pas pourquoi il était différent. Il serait peut-être devenu fou si Jane n’était pas arrivée… Le sort des animaux sauvages imprégnés aux humains est beaucoup plus triste. L’influence des hommes est tellement ancrée profondément, qu’ils n’agissent plus comme leur espèce le leur demande. Parlez-en à M. Guy Fitzgérald, fondateur de l’UQROP (Union québécoise de réhabilitation des oiseaux de proie). Son centre est rempli de rapaces imprégnés aux humains. Des gens les ont ramassés bébés, et voulant bien faire, s’en sont occupés du mieux qu’ils le pouvaient. Maintenant, ces oiseaux se prennent pour des humains et ne savent ni se nourrir, ni se reproduire, ni se protéger des prédateurs (c’est vrai, les rapaces n’ont pas vraiment de prédateurs, mais ils ne sont pas les seuls animaux à être imprégnés aux humains). Ils se servent donc de ces oiseaux de proie comme ambassadeurs dans les écoles et les zoos, car ils ne peuvent être remis en nature.
À la lumière de ces faits, ne trouvez-vous pas que le nourrissage à la main ressemble beaucoup à l’imprégnation aux humains? (imprégnation systématisée comme le dit Johanne). On sort du nid les bébés perroquets dès leur plus jeune âge (même dans l’œuf, parfois) pour, dit-on, les habituer aux humains, pour qu’ils leurs fassent confiance, pour qu’ils fassent d’excellents compagnons, etc. Bref, c’est plein de bonnes intentions… humaines. Mais les perroquets, eux, ça leur donne quoi, dans le fond, réellement? Étant entourés d’humains depuis leurs plus lointains souvenirs, il est un peu normal qu’ils se pensent comme tels, eux aussi. Et comme ils ne sont pas traités en humains, bien c’est la confusion, quoi! La question se pose donc: en les privant ainsi de l’école de leur espèce, ne court-on pas vers la désillusion à long terme? Pour eux et pour nous? À bien y penser, elle commence peut-être déjà. N’observons-nous pas quantité d’oiseaux qui se comportent bizarrement, qui se déplument, qui sont déprimés, des oiseaux incapables de se reproduire (après avoir été abandonnés, car n’étaient "pas gentils"…), etc.?
D’ailleurs, si cette façon de faire est si géniale, pourquoi ne l’a-t-on pas utilisée avec nos chiens? Parce que les gens se sont rendu compte qu’il y a un temps de base à respecter avant de séparer les chiots de leur mère. Sinon, on s’expose à différents problèmes de comportement et névroses. Alors, que font les éleveurs consciencieux? Ils prennent les bébés chiens et leur parlent, les caressent et leur font voir toutes sortes de choses, de personnes et entendre toutes sortes de sons pour bien les socialiser. Parce que c’est vrai que la socialisation en bas âge est importante. Elle marque pour la vie. Autant pour nos compagnons à 4 pattes que pour nos chers perroquets. Voilà pourquoi il est si important de s’y arrêter pour y réfléchir quelques instants et peut-être un peu plus… Un perroquet bien socialisé sera amical et attaché aux personnes qui lui feront preuve de respect et qui lui montreront le comment faire dans un environnement humain. Est-ce à dire qu’il faut les laisser avec leurs parents seulement? Pas nécessairement. Une méthode de double éducation a été essayée et a donné de bons résultats au Psittacine Research Project Center at UC Davis. (J.R. Milliam, Ph.D., Proceedings of the Second Parrot Biology Symposium for Aviculturists, 1995).
Pour résumer leur méthode, les jeunes amazones à ailes orange restaient au nid avec leurs parents. Les oisillons étaient manipulés gentiment chaque jour pour 15 à 30 minutes à partir du 12e jour. Ces sessions continuaient ainsi jusqu’à leur plein plumage et 2 fois par semaine ensuite. Les résultats? De jeunes amazones adoptés comme compagnons qui se comportaient comme des amazones nourris à la main. Super, non?! Des perroquets confortables avec les gens, mais qui savaient qui ils étaient. Donc, des oiseaux heureux et bien dans leur peau. Les autres avantages? Oui, oui il y en a d’autres: c’est moins fatiguant pour les éleveurs (pensez-y, nourrir jour et nuit dès le jour1, sans parler des dangers nombreux à éviter), des parents perroquets satisfaits de remplir leur rôle à fond (c’est leurs bébés, après tout, ils aimeraient bien s’en occuper un peu, tout de même, au lieu de pondre et re-pondre) et des oisillons plus gros et en meilleure santé que ceux nourris à la main (eh oui, c’est prouvé). Bref, tout le monde est content! Et à long terme en plus!
Tout le monde le sait, les perroquets sont des animaux drôlement intelligents. C’est d’ailleurs une des raisons qui nous les font tant aimer. Et si on les aime, on veut qu’ils soient heureux. Un perroquet heureux est celui qui est bien dans sa peau parce qu’il sait qu’il est un oiseau et que c’est pour cette raison qu’il ne peut pas faire tout comme les humains. Un perroquet heureux est bien entouré par l’affection, le respect et des règles simples, mais constantes. Et pas besoin d’être nourri à la main pour cela. La nature fait bien son travail habituellement. À nous d’en profiter en prenant le temps de l’apprivoiser pour mieux la connaître, perroquets inclus.
*Ce texte n’a pas pour but de dénigrer, juger ou blesser qui que ce soit. C’est plutôt le fruit d’une réflexion que je voulais partager avec vous, amateurs et passionnés de perroquets.
© Geneviève Desrochers 2005
Photos
Melopsittacus undulatus, Marie-Josée Ouellet
Pouponnière commerciale, CAJV
Nymphicus hollandicus, Diane Vachon