Répercussions négatives de l'élevage à la main des perroquets
Jan Hooimeijer, D.M.V.,
spécialiste en comportement aviaire
Clinic for Birds, Meppel, Pays-Bas
Table ronde, Conférence de l'Association of Avian Veterinarians, Août 2011, Seattle
Résumé
Au cours des 30 à 40 dernières années, l'incubation artificielle des œufs et l'élevage à la main des bébés perroquets sont devenus des pratiques courantes en aviculture. L'élevage à la main, d'abord un mal nécessaire découlant d’une mauvaise gestion, est devenu une pratique commerciale hostile pour les perroquets. Étant donné les nombreuses répercussions négatives de l'élevage à la main, il n’y a aucune raison de ne pas soutenir les lois qui l'interdiront.
Mots clés : élevage à la main, incubation artificielle, problèmes de comportement.
Introduction
Il y a 30 ou 40 ans, l'élevage des perroquets en captivité a gagné en popularité.
À cette époque, l'incubation artificielle et l'élevage à la main des bébés perroquets étaient souvent nécessaires pour différentes raisons, notamment parce que les parents abandonnaient leurs petits ou leurs œufs, qu'ils les mutilaient ou qu'ils refusaient de les élever. On disait même qu'il serait possible, grâce à l'incubation artificielle, d'élever le parfait petit perroquet; en effet, on disait que les petits apprenaient de leurs parents à s'automutiler, à pousser des cris désagréables, à harceler leurs compagnons et à adopter de piètres habitudes alimentaires (Jordon, 1989). Plusieurs raisons peuvent expliquer le recours à l'élevage à la main des bébés perroquets à la suite d'une mauvaise gestion de l'habitat, de la nutrition et des soins, conjointement avec un manque de connaissances sur le comportement naturel des perroquets. La raison la plus souvent invoquée est celle des parents qui ne veulent pas élever leur propre progéniture si celle-ci n'est pas en santé ou viable en raison de déficiences nutritionnelles ou d'autres facteurs de stress. L'amélioration de la gestion générale et l'augmentation des connaissances sur les besoins des perroquets réduisent la nécessité de recourir à l'élevage à la main.
Au cours des 30 dernières années, on a vu croître la demande pour des perroquets de compagnie. Les aviculteurs et les animaleries ont commencé à promouvoir les bébés perroquets apprivoisés et non sevrés; ils laissaient croire qu'il était avantageux d'acheter un bébé perroquet non sevré qui était le plus jeune possible pour garantir que cet oiseau deviendrait le parfait compagnon apprivoisé. En même temps, étant donné que l'élevage à la main demande beaucoup de travail, il y a un avantage économique certain à vendre des bébés non sevrés et à transférer aux acheteurs le fardeau de l'élevage à la main.
Les aviculteurs se sont rendu compte que l'incubation artificielle ou le retrait des bébés des parents dans le contexte de l'élevage à la main poussaient les femelles à pondre plus d'œufs, plus souvent. L'élevage à la main est devenu une pratique courante de l'aviculture parce l'incubation artificielle des œufs et l'élevage des oisillons à la main constituent des pratiques rentables. Les oisillons élevés par les parents ne sont pas considérés comme des oisillons apprivoisés parce qu'en général, les aviculteurs estiment qu'il est normal que les couples reproducteurs ne soient pas apprivoisés. Quand les oiseaux reproducteurs sont apprivoisés, les petits élevés par les parents apprennent de ceux-ci qu'il n'y a pas de raison d'avoir peur de leur soigneur (Hooimeijer J., Pericard, JM, 2009, Engebretson, M., 2006).
Répercussions négatives de l'incubation artificielle et de l'élevage à la main des oisillons
Depuis les 15 dernières années, de plus en plus de données démontrent les conséquences négatives de la séparation des oisillons de leurs parents et de la vente d'oisillons non sevrés. L'incubation des œufs et l'élevage des bébés perroquets à la main constituent une forme de développement incroyablement insolite quand on sait que la séparation des petits de leurs parents avant ou pendant la phase d'imprégnation initiale peut causer des problèmes comportementaux irréversibles; c'est le cas pour d'autres animaux, y compris les humains. Selon les indications, certains de ces problèmes comportementaux peuvent apparaître après des mois, voire des années, surtout quand les oiseaux ont des activités hormonales. On reconnaît aujourd'hui qu'il existe un vaste éventail de problèmes de comportement et de santé attribuables à la séparation des bébés des parents chez les souris, les primates, les perroquets et les humains. La privation sociale pendant l'enfance donne lieu à des troubles du comportement durables ainsi qu'à des déficits sociaux et émotionnels. Les stéréotypes, les comportements d'insécurité, les comportements phobiques, les morsures, le picage et l'automutilation constituent quelques-unes des graves conséquences du sevrage précoce et de la séparation d'un bébé perroquet de ses parents (Engebretson, M., 2006, Garner, J.P., Meehan, C.L., Mench, J.A., 2003).
L'incubation des œufs et la séparation des oisillons de leurs parents à un jeune âge poussent les femelles à pondre plus d'œufs et à une plus grande fréquence qu'elles le feraient dans la nature. D'après l'expérience de l'auteur, cette situation peut expliquer l'incidence négative de la pratique sur l'espérance de vie des femelles. L'augmentation du nombre de pontes et de leur fréquence a aussi des répercussions négatives sur la qualité des œufs et sur la viabilité des petits (Hooimeijer, J., 1999).
Les risques liés à de mauvaises techniques d’élevage à la main sont la pneumonie par aspiration, les brûlures au jabot, la perforation de l’œsophage ou du jabot, la malnutrition ou l’athrepsie (Romagnano, A., 2003).
Selon l’expérience de l’auteur, le poids final des oisillons peut-être de 10 à 15 % inférieur à celui des parents. Les études ont démontré que les oisillons nourris à la main sont plus susceptibles de souffrir de malformations squelettiques que les oisillons nourris par les parents (Harcourt-Brown, N., 2004).
Certaines données démontrent que les bébés perroquets qui sont séparés de leurs parents sont plus vulnérables que les autres aux maladies infectieuses parce que leur système immunitaire est moins bien développé. Le stress lié à la manipulation néonatale en est l’une des raisons (Phalen, D.N., Wilson, V.G., Graham, D.L., 1994).
Pour ce qui est des autres travaux scientifiques, une partie des références est tirée d’une thèse de doctorat rédigée à l’université de Berne en 2004 par R. Schmid sur l’influence de la méthode d’élevage sur le comportement des gris d’Afrique mâles. Cette thèse a démontré les écarts qui existent entre les problèmes comportementaux des perroquets élevés à la main et ceux des oiseaux élevés par les parents. Cette étude a démontré que les gris d’Afrique élevés à la main adoptaient des comportements plus agressifs et sélectifs envers les humains que les oiseaux élevés par les parents. Elle a également démontré que les oisillons qui étaient séparés de leurs parents avant l’âge de cinq semaines développaient davantage de stéréotypes que les oisillons élevés par les parents pendant une période plus longue.
La recherche menée par Myers (1998), qui a travaillé avec des calopsittes élégantes (Nymphicus hollandicus), a démontré que les oisillons étaient en mesure de prendre leur premier envol uniquement dans les couples où les mâles avaient été élevés par les parents. Les femelles élevées à la main produisaient des œufs infertiles et pondaient à l’extérieur du nid plus souvent.
Discussion
Aux Pays-Bas, une loi sur la santé et le bien-être des animaux interdit, pour différentes espèces, de séparer de jeunes animaux de leurs parents ou de leur mère pendant une période de temps précise. Les chiots, tout comme les chatons, ne peuvent pas être séparés de leur mère avant l’âge de sept semaines. Pour les lapins, l’âge minimal est fixé à quatre semaines, tandis qu’il est fixé à quatre ans pour les chimpanzés. Étant donné que les perroquets ne sont pas visés par cette loi, il n’est pas illégal aux Pays-Bas d’incuber des œufs et d’élever des bébés perroquets à la main. Cette situation s'oppose aux données selon lesquelles les récents progrès réalisés dans les domaines de la neuroanatomie et de l’éthologie cognitive confirment que de nombreuses espèces d’oiseaux ont des capacités cognitives et d’apprentissage complexes (Pepperberg, I.M., 1999).
En raison des répercussions négatives connues de l'élevage à la main sur le bien-être des animaux, la Dutch Parrot Foundation fait campagne aux Pays-Bas pour que les perroquets soient ajoutés à la liste des animaux qui ne peuvent pas être élevés à la main ou séparés de leurs parents. Les cacatoès des Moluques constituent un exemple type de perroquets qui sont principalement élevés à la main en aviculture et qui adoptent couramment des comportements comme les cris, la crainte, les morsures, le picage, la destruction des plumes et l’automutilation. Quand on visite des refuges, il est douloureux de constater le nombre de cacatoès des Moluques qui ont été abandonnés en raison de graves problèmes de comportement. C’est encore plus triste quand on se rend compte qu’il s’agit d’une espèce en voie de disparition en Indonésie. Des raisons médicales peuvent justifier l’élevage à la main de bébés perroquets. Dans les cas où l’élevage à la main est nécessaire, il est important de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter les conséquences négatives de cette pratique en reproduisant un environnement le plus naturel possible. Pour éviter tout problème dans le cadre de projets d’élevage à la main, comme le projet sur le condor de Californie, la pratique a été élaborée de telle manière qu’il n’y a pas de contact entre les humains et les animaux pendant l’élevage à la main, reproduisant ainsi les situations naturelles le plus possible. Des marionnettes de nourrissage spéciales sont utilisées comme substitut aux modèles parentaux, de la même façon que les modèles de substitution des parents utilisés avec les grues élevées à la main dans les projets de réintroduction (Horwich, R.H., 1989).
Conclusions
Les perroquets sont les animaux les plus charismatiques, intelligents et sociaux qui soit, et ils ont une très longue espérance de vie. Il incombe aux vétérinaires aviaires et aux aviculteurs de prévenir les problèmes et d’améliorer le mieux-être des perroquets en captivité.
Compte tenu des données disponibles et de l’expérience actuelle, il est tout à fait justifié de conclure que l’élevage à la main des bébés perroquets n’améliore ni leur santé ni leur mieux-être. Les bébés perroquets devraient avoir le droit juridique d’être élevés par leurs parents, au moins jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge où ils ne sont plus dépendants de leurs parents pour satisfaire leurs besoins alimentaires. Les femelles qui sont manipulées et forcées d’avoir un plus grand nombre de couvées dans le seul intérêt commercial des éleveurs n’en retirent aucun avantage.
Références et lectures recommandées
1 R.P. Balda, I.M. Pepperberg, A.C. Kamil - Animal Cognition in Nature: The Convergence of Psychology and Biology in Laboratory and Field. Academic Press, San Diego (1998)
2 I. Branchi - The mouse communal nest: Investigating the epigenetic influences of the early social environment on brain and behavior development. Neuroscience & Biobehavioral Reviews 33 (2009) 4, p. 551-559
3 R.W. Burkhardt, Jr. - Patterns of Behavior: Konrad Lorenz, Niko Tinbergen, and the founding of ethology. University of Chicago Press (2005)
4 C. Caldji, J. Diorio, M.J. Meaney - Variations in maternal care in infancy regulate the development of stress reactivity. Biol. Psychiatry 48 (2000), p. 1164-1174
5 S.L. Clubb S.L., Club K.J. Psittacine Pediatrics. 2nd European Symposium on Avian Medicine and surgery. 1989. Utrecht. 283-299.
6 J.C. Collette, J.R. Millam, K.C. Klasing, P.S. Wakenell - Neonatal handling of Amazon parrots alters the stress response and immune function. Applied Animal Behavior Science 66 (2000), p. 335-349
7 B. Cramton - Handler Attitude and Chick Development, in: Luescher, Manual of Parrot Behavior (2006), p. 113-128
8 B. Donely. The Galah. Seminars in Avian and Exotic Pet Medicine, Vol 12, 2003. pp 185-194
9 M. Engebretson - The welfare and suitability of parrots as companion animals: a review. Animal Welfare 15 (2006), p. 263-276
10 R. Fox - Hand-Rearing: Behavioral impacts and implications for captive parrot welfare, in: Luescher, Manual of Parrot Behavior (2006), p. 83-91
11 R.A. Fox, J.R. Millam - The effect of early environment on neophobia in orange-winged Amazon parrots (Amazona amazonica). Applied Animal Behaviour Science 89 (2004), p. 117-129
12 J.P. Garner, C.L. Meehan, J.A. Mench - Stereotypies in caged parrots, schizophrenia and autism: evidence for a common mechanism. Behavioral Brain Research 145 (2003), p. 125-134
13 Harcourt-Brown N. 2004 Development of the skeleton and feathers of dusky parrots (Pionus fuscus) in relation to their behaviour. The Veterinary Record 154: 42-48
14 J. Hooimeijer - Medical Problems Because of Management Failures in Aviculture. Proceedings Annual Conference Association Avian Veterinarians, New Orleans (1999
)
15 Hooimeijer J. Behavioral Problems of Cockatoos in Captivity: Proceedings of the Annu Conf Assoc Avian Vet, New Orleans, 2004
16 J. Hooimeijer, J.M. Pericard - Behaviour and behavioural diseases in psittacine birds. Proceedings 15th FECAVA Euro congress, Lille (2009)
17 R. Jordan Parrot: Incubation Procedures. Ontario, 1989. Silvio Mattacchione and Co.
18 W. Lantermann - Verhaltensstörungen bei Papageien: Enstehung – Diagnose – Therapie. Stuttgart (1998)
19 N.R. Latham, G.J. Mason - Maternal deprivation and the development of stereotypic behaviour. Applied Animal Behaviour Science 110 (2008), p. 84-108 including the early primate studies in this field, more recent examples from zoo and commercially reared animals, and human examples from studies of institutionalised children.
20 B.S. Levine - Common Disorders of Amazons, Australian Parakeets, and African grey parrots. Seminars in Avian and Exotic Pet Medicine, Vol. 12 (2003) No. 3, p. 125-130
21 A. U. Luescher (Ed.) - Manual of Parrot Behavior. Blackwell Publishing (2006)
22 C.L. Meehan, J.P. Garner, J.A. Mench - Isosexual pair housing improves the welfare of young Amazon parrots. Applied Animal Behaviour Science 81 (2002), p. 73-88
23 V. Munkes, S. Munkes – Massenvermehrung von Papageienvögeln durch Handaufzug: eine kritische Betrachtung. Gefiederte Welt, 6 (2003), p. 166-169
24 S. Munkes, V. Munkes - Durch menschliches Fehlverhalten provozierte Brut und Aufzuchtzwischenfälle mit der Folge sogenannter Not-Handaufzuchten. Gefierderte Welt 5 (2005), p. 134-137
25 H.J.J. van Oers, E.R. de Kloet, S. Levine - Early vs. late maternal deprivation differentially alters the endocrine and hypothalamic responses to stress. Developmental Brain Research 111 (1998), p. 245-252
26 S. O’Mahony, J.R. Marchesi (et al.) - Early life stress alters behavior, immunity, and microbiota in rats: Implications for irritable bowel syndrome and psychiatric illnesses. Biological Psychiatry 65 (2009), p. 263-267
27 I.M. Pepperberg - The Alex Studies, Cognitive and Communicative Abilities of African Grey Parrots. Harvard University Press (1999), (2002, first paperback edition)
28 J.M. Pericard. The importancve of early life of psittacines ( or which pet parrot do we want?). In; Proceedings 11th European AAV Conference, 2011. Madrid. pp 297-303
29 D.N. Phalen , Wilson VG, Graham DL: A practitioner’s guide to avian polyomavirus testing and disease. Proc. Association of Avian Vet, 1994 pp 252-258
30 C.R. Pryce, J. Feldon - Long-term neurobehavioural impact of the postnatal environment in rats: manipulations, effects and mediating mechanisms. Neuroscience & Biobehavioral Reviews 27 (2003), p. 57-71
31 A.B. Riber (et al.) - Effects of broody hens on perch use, ground pecking, feather pecking and cannibalism in domestic fowl (Gallus gallus domesticus). Applied Animal Behaviour Science 106 (2007) p. 39-51
32 B. Ritchie ; Avian Viruses , Function and Control. 1995 Wingers Publishing, Inc.
33 Romagnano A 2003. Problems associated with improper hand feeding Hartz. Exotic Health Newsletter 2 : 3
34 R. Schmid - The influence of the breeding method on the behaviour of adult African grey parrots. Inaugural dissertation, Universität Bern (2004)
35 W. Sutanto, P. Rosenfeld, E.R. de Kloet, S. Levine – Long-term effects of neontal maternal deprivation and ACTH on hippocampal mineralocorticoid and glucocorticoid receptors. Developmental Brain Research 92 (1996), p. 156-163
36 Tierärztliche Vereinigung für Tierschutz e.V. Arbeitskreis 8 (Zoofachhandel u. Heimtierhaltung) - Stellungnahme zur Handaufzucht bei Papageien (2006)
37 R. Wanker - Socialization in spectacled parrotlets (Forpus conspicillatus ): how juveniles compensate for the lack of siblings. Acta ethologica 2 (1999), p. 23-28
38 M. Wohr, R. K.W. Schwarting - Maternal care, isolation-induced infant ultrasonic calling, and their relations to adult anxiety-related behavior in the rat. Behavioral Neuroscience, Vol. 122 (2008), p. 310-330
39 P. Zucca - Mind of the Avian patient: cognition and welfare. Proceedings of the 9th European AAV Conference Zurich (2007), p. 357-365
Auteur:
Drs. Jan Hooimeijer D.M.V., spécialiste en comportement aviaire
Clinic for Birds, Meppel
Galgenkampsweg 4
7942 HD Meppel
Pays-Bas
Références originales
www.kliniekvoorvogels.nl(lien non-fonctionnel)
jan.birds@worldonline.nl(lien non-fonctionnel)
Référence 2020
https://www.adviespraktijkvoorvogels.nl/over-drs-jan-hooimeijer/
Traduit par: inconnu