L'ara de Spix

par Geneviève Desrochers

Ara de Spix.

Avez-vous déjà entendu parler du Cyanopsitta spixii, communément appelé ara de Spix? Peut-être. En avez-vous déjà vu un vivant? Si oui, vous êtes extrêmement chanceux, car on peut affirmer sans l’ombre d’un doute que c’est l’oiseau le plus rare du monde. D’ailleurs, son histoire est digne d’une des meilleures sagas.

Découvert au XVIIe siècle, par un colon néerlandais, il fut plus tard (au début des années 1800) étudié par un naturaliste allemand au nom ronflant de Johann Baptist Ritter Von Spix. En dépit de sa grande connaissance des aras bleus, celui-ce ne réalisa pas immédiatement qu’il venait de capturer une espèce encore inconnue de la science. De ce fait, quelques années plus tard, soit en 1850, un autre naturaliste, Prince Charles Bonaparte proposa de créer un nouveau genre scientifique pour cet ara, soit le genre Cyanopsitta (Cyano pour bleu et psitta pour perroquet) et d’ajouter spixii en hommage au naturaliste allemand.

Certes, ces aras n’ont jamais été légion. Aux jours mêmes de Von Spix, les estimations ne faisaient état que de 180 individus. Évidemment, la situation n’a fait qu’empirer depuis. Pour commencer, il y eut la déforestation massive de cette région (Amazonie) dans les années 1970. Comme les aras de Spix étaient très dépendants de leur écosystème, leur nombre chuta à moins de 60. Et là où trois siècles de colonisation avaient échoué, les oiseleurs réussirent en quelques années. En 1984, l’espèce était pour ainsi dire exterminée. Seuls 4 aras de Spix survivaient à l’état sauvage et les collectionneurs étaient prêts à payer des sommes astronomiques (jusqu’à 50 000 $) pour l’achat du dernier spécimen… En 1989, la revue Animal Kingdom annonçait que les braconniers avaient mis la main sur les derniers représentants de l’espèce. C’était "le coup de grâce".

Avant même la confirmation définitive du statut précaire de l’ara de Spix dans la nature, des efforts avaient été entrepris en vue de lancer un programme de sauvetage de l’espèce. Toute une série de rencontres entre autorités brésiliennes, experts scientifiques, organisations internationales telles que la CITES débouchèrent sur la création d’un Comité permanent de sauvetage de l’espèce. Celui-ci se réunit pour la première fois en juillet 1990. Cette même semaine où fut redécouvert le dernier exemplaire sauvage à Melância Creek, sur la rivière Sao Francisco, au nord-est du Brésil.

Ara de Spix.

Au moment où tous pensaient que c’était la fin de l’ara de Spix, des gens vivant près de son ancien territoire affirmèrent en avoir vu un. Cinq spécialistes se rendirent donc sur place. Après 2 mois de recherches minutieuses, les chercheurs remarquèrent dans un vol d'ara d’Illiger un oiseau différent des autres: plus grand et bleu. Mais oui! Un ara de Spix; le dernier vivant en liberté! Ils l’observèrent pendant une semaine et comprirent que l’animal, d’un naturel très sociable, suivait ses cousins pour lutter contre la solitude et trouver une partenaire… ce qui contre toute attente arriva. Le dernier ara de Spix sauvage avait formé un couple hybride avec une femelle ara d’Illiger. Ce couple dissemblable semblait même fort attaché, les 2 oiseaux étant vus ensemble la plupart du temps. Plutôt que de capturer ou d’abattre l’ara d’Illiger, les scientifiques jugèrent plus sage de ne pas intervenir afin de ne pas stresser davantage le dernier mâle sauvage. Le but ultime du Comité permanent étant de former un couple d’aras de Spix pour assurer la survie de l’espèce. Pour y arriver, il fallait attirer l’attention du public sur l’oiseau le plus menacé au monde. Les autorités brésiliennes émirent un timbre-poste en son honneur. Parallèlement, les ornithologues convainquirent les 8000 habitants de Curaça, ville proche de la zone où évoluait le survivant, de prendre sa défense. Avec ces milliers de "gardes", qui surnommèrent "leur" oiseau Severino, les braconniers risquaient maintenant d’être pris la main dans le sac. Restait à vaincre un autre obstacle: persuader les éleveurs de se séparer d’un de leur précieux volatile.

En août 1994, un propriétaire accepta donc de laisser aller une jeune femelle qui avait été capturée bébé. Elle fut expédiée par avion à Curaça pour être réintroduite dans son habitat naturel. L’arrivante fut placée dans une grande volière sur le territoire du mâle et fut mise au régime normal de l’ara de Spix. Pour la réhabituer à la vie sauvage, on substitua progressivement son menu de captivité par des pignons et des fruits épineux de la région. Son estomac supporta bien le changement. Des séances quotidiennes d’entraînement furent également prévues. (Demander à un perroquet élevé en cage de suivre du jour au lendemain un partenaire qui effectue 50 km par jour reviendrait à demander à un accroc de la télé de courir un marathon!). Pour fortifier ses muscles, les biologistes la firent voler dans sa cage le plus possible. Severino ne tarda pas à découvrir la volière. En apercevant la femelle, il poussa des cris stridents, l’appela et se posa à 30 mètres de la cage. "La femelle, raconte Marcos Da-Ré ornithologue associé au projet, a été prise d’une grande agitation" en voyant le mâle. Une agitation qui, dit-il, "nous a rempli d’espoir".

Ara de Spix.

Enfin, le grand jour arriva: mars 1995, la porte de la volière s’ouvrit. Après une hésitation d’une demi-heure, la femelle s’envola et se posa sur un arbre distant de 300 mètres. Une grande tension régnait parmi les spécialistes: personne ne pouvait prédire si celle-ci s’associerait à l’ara sauvage pour former un couple. Cette incertitude était rendue plus grande encore du fait que Severino était déjà en couple avec l'ara d’Illiger. À la suite de la libération de la femelle ara de Spix, les 3 oiseaux furent souvent observés ensemble, formant un véritable trio. Par la suite, la nature reprit ses droits. On avait un couple d’aras de Spix! Alors, survint le désastre: la femelle réintroduite disparut purement et simplement! Elle n’était en liberté que depuis 3 mois… On ignora longtemps ce qu’il était advenu de l’oiseau. Plusieurs années s’écoulèrent. Un vacher local prétendit avoir vu le cadavre de l’ara sous une ligne électrique aérienne contre laquelle elle s’était probablement heurtée. Le mâle ara de Spix était à nouveau seul. On décida de ne plus "gaspiller" de femelle captive pour lancer une nouvelle tentative de réintroduction. Comble de malheur, avant même que de nouvelles idées ne soient soumises au Comité permanent, Severino, le dernier mâle sauvage, disparut…début 2001. L’ara de Spix était désormais officiellement éteint dans la nature. Éteinte aussi la perspective de relâcher des oiseaux captifs en l’absence d’un "tuteur" sauvage…

Et les aras captifs? D’après les derniers recensements, il y aurait un peu plus de 60 aras de Spix en captivité à travers le monde. C’est pas mal, direz-vous? Ça dépend. Malgré l’augmentation du nombre, près de la moitié de la population captive provient de six parents, tous plus ou moins apparentés. Les problèmes potentiels liés à la faiblesse du capital génétique de la population captive d’aras de Spix ont été amplifiés par des transferts d’oiseaux non autorisés par le Comité permanent. Des éleveurs importants ont vendu la totalité et la quasi-totalité de leurs oiseaux à un cheikh arabe dans l’émirat du Qatar. Actuellement, la majorité des aras en captivité appartiennent à ce cheikh spécialisé dans la reproduction d’espèces très rares ( l’Al Wabra Wildlife Preservation Farm). On y dénombre quarante-deux oiseaux et des naissances y ont déjà eu lieu. Malheureusement, les buts réels de ce cheikh ne sont pas très clairs…

Ara de Spix.

Cela étant, le monde scientifique est dépendant du bon vouloir de ces particuliers fortunés, qui décident en toute indépendance du sort de "leurs" oiseaux. De plus, l’appauvrissement génétique de la population captive rend peut-être tous les efforts vains à long terme. Sans parler des divergences profondes qui continuent de déchirer certains spécialistes quant aux meilleures méthodes à utiliser. Et sur le terrain, l’habitat naturel de l’ara de Spix s’amenuise d’année en année. Le Cyanopsitta spixii était déjà menacé au moment même où le premier spécimen était découvert par celui dont il allait porter le nom. Plus de 150 ans plus tard, l’avenir de l’espèce est encore très loin d’être assuré. Vingt années d’efforts en vue de sauver les derniers aras de Spix sauvages et de faire renaître l’espèce dans la nature, n’ont pas été suffisantes pour obtenir des résultats concrets.

Malheureusement, ce n’est pas la première, ni sans doute la dernière espèce animale appelée à disparaître. Le plus triste, c’est que certains privilégiés pensent, à cause de leur pouvoir et de leurs nombreux dollars, pouvoir se donner le droit d’obtenir ce qui est en train de disparaître. Mais qui donc leur en a donné le droit? Sûrement pas la planète, ni les générations à venir, qui, elles, auraient eu ce droit d’apprécier et de contempler, dans leur milieu naturel, ces magnifiques oiseaux. Certes, l’argent donne du pouvoir, mais pas celui de ressusciter, ni de remonter le temps. Que peuvent bien faire des collectionneurs d’oiseaux rares? Ils ne peuvent ni les déplacer, ni les vendre facilement. Si leurs couples ont des petits, qu’ils survivent et que ceux-ci se reproduisent aussi, leur consanguinité laissera de nombreuses tares à l’espèce. Alors, qui en profite vraiment? Ils veulent de merveilleux bibelots vivants pour ravir les yeux et épater la galerie, mais combien auraient pu en faire autant si les aras de Spix étaient demeurés dans leur forêt de caraiabas au Brésil? Il est plus que temps de cesser de considérer la faune et la flore comme des acquis, mais plutôt comme d’autres formes de vie que nous avons le plaisir de côtoyer et le devoir de protéger… C'est à suivre.

Sources
Diverses, mais principalement un rapport de Tony Jupiner publié à l’issue d’une réunion technique des experts en conservation de l’ara de Spix qui s’est tenue au Loro Parque de Ténérife en 2002. Pour plus de détails, consulter le livre Spix’s macaw—the race to save the world’s rarest bird par M. Tony Jupiner, expert mondial en perroquets, 2002. ISBN : 1-84115-650-7

Pour faire un don au World Parrot Trust ou devenir membre, cliquez sur le lien suivant https://www.worldparrottrust.org

 

 

© Geneviève Desrochers 2005

Photos
Ara de Spix, huile par Milan, peintre anmalier, CAJV
Presley, cyanopsitta spixii découvert... au Colorado, Etats-Unis, par Alain Breyer