Tatillon le perroquet?
par Johanne Vaillancourt
Payer une fortune en hiver pour des fraises et les voir finir au fond de la cage sans que le perroquet ait même daigné y toucher du bout du bec… Frustrant, n’est-ce pas?
Pourtant, c’est ce que vivent quotidiennement plusieurs humains qui, pour leur plus grand malheur, vivent avec un perroquet qu'on dit, tatillon.
Le perroquet chichiteux, trop souvent dépendant de ses sacro-saintes graines de tournesol ou de carthame, a une idée très précise sur "à quoi doit ressembler son écuelle" et, aussitôt servi, se débarrasse très rapidement de tout ce qui, selon lui, ne devrait pas s’y trouver.
Très, très décourageant.
Pourquoi certains perroquets agissent de la sorte?
Ce n’est pas parce que ce sont de capricieux perroquets. C’est tout simplement que: se nourrir est un comportement inné alors que savoir quoi consommer et comment l’apprêter sont des comportements acquis par l’imitation de modèles expérimentés. Je m’explique: les comportements alimentaires font partie des expériences de socialisation du jeune perroquet. Dans la nature, les parents prennent un temps fou à transmettre à leur progéniture des informations sur: comment obtenir la nourriture, la manipuler, l’apprêter et l’ingérer. Cet apprentissage se fait par incitation et imitation et peut se dérouler sur plusieurs mois dépendant des espèces.
On parle ici d’une étape très importante de la socialisation, la survie du jeune perroquet sera tributaire de ces apprentissages.
Les perroquets en liberté passent la majorité de leur temps autour de la nourriture. Ils volent à deux ou en groupe, d’un endroit à l’autre pour localiser et cueillir leur nourriture; c’est l’occasion pour partager et socialiser avec leurs congénères et, ce faisant, ils se donnent aussi beaucoup d’exercice. De plus, c’est aussi le moment où ils apprennent à faire des choix, à prendre des décisions… Qu’est-ce que je vais manger? Où et avec qui vais-je le faire? La quête de nourriture ne sert donc pas seulement qu'à se nourrir pour ces animaux sociaux. Ce sont des périodes de la journée où les perroquets se rassemblent et interagissent entre eux.
Rechercher la nourriture, se nourrir mutuellement, jouer et se toiletter, voilà à quoi ressemble une journée typique dans la vie des perroquets dans leur habitat. Ce sont des oiseaux intelligents qui demandent un environnement stimulant pour apprendre et bien se développer.
Pour qu’un perroquet accepte la nouveauté, tel un aliment inconnu au beau milieu de son écuelle, il faudrait tout d’abord qu’il ait pu développer sa curiosité, qu’il ait appris à faire ses propres choix et qu’il ait eu la chance de cultiver un tant soit peu son goût pour l’aventure. Tous les jours, lorsque j'opérais le refuge, j'étais confrontée à ces perroquets tatillons, qui allaient jusqu’à devenir totalement paniqués à la seule vue d’un nouvel objet, d’un nouveau jouet et, vous vous en doutez bien... d’un nouvel aliment. Ces oiseaux n’avaient de toute évidence jamais été stimulés à accepter la nouveauté. Pour eux, tout ce qui était surprenant rimait avec menaçant... même la nourriture.
La curiosité, tout comme la quête et le choix des aliments, sont des comportements acquis et doivent de préférence être développés très tôt chez le jeune oiseau. Par bonheur, le manque de socialisation face aux comportements alimentaires n’est pas irréversible chez les perroquets. Évidemment, il est toujours plus difficile de convaincre un oiseau pubère ou mature qu’il doit se convertir à une alimentation variée que de l’enseigner à la base à un jeune.
Dans leur environnement naturel, les perroquets sont encouragés à la curiosité et à l’aventure. Bien sûr, lorsqu’ils sont très jeunes, ils s’en remettent entièrement à leurs parents pour les protéger et leur procurer une bonne alimentation, nourrissante et sécuritaire. Mais en grandissant, ils sont incités par leurs parents à expérimenter de nouveaux aliments par eux-mêmes, toucher de nouvelles textures et formes, et goûter de nouvelles saveurs. L’exploration alimentaire est une activité très excitante et stimulante pour un jeune perroquet.
Les aliments complets
Depuis quelques années, une grande variété de moulées
commerciales ont fait leur apparition sur le marché. Un peu
comme pour les chiens et les chats, les humains ont adopté ce
style d’alimentation pour leurs perroquets en n’y voyant que le
côté pratique. C’est propre (ne fait pas d’écales de graines
partout), rapide et, nous dit-on, "l’aliment serait complet et
bien équilibré [sic] ".
Alors pourquoi s’en faire et s’acharner à faire ingérer une
diversité d’aliments à nos perroquets "domestique"? Sans
ambages, pour toutes les raisons énumérées plus haut! La moulée
promet peut-être un aliment nutritif, mais certainement pas
excitant et stimulant...
Que peut faire de son temps un perroquet lorsque vous êtes à l'extérieur de la maison toute la journée ou que vous n’avez pas le temps de vous occuper de lui? Travailler pour sa nourriture devient presque la seule occupation du perroquet de compagnie qui se retrouve… sans compagnie! Fendre les écales des noix, éplucher sa banane ou son orange, décortiquer des pois ou des haricots sont, plus souvent qu’autrement, ses seules activités physiques et sensorielles lorsqu’il est enfermé dans sa cage. Alors, pourquoi l’en priver? Mais surtout, comme les études sur les habitudes alimentaires des perroquets sont encore très jeunes, offrir une grande variété d’aliments est presque notre seule garantie de garder nos oiseaux longtemps et en santé.
C’est malheureusement la domestication qui rend ces oiseaux si pointilleux envers la nourriture. Le très jeune perroquet ne peut développer sa curiosité ou son goût de l’aventure si, jour après jour, il se fait offrir des extrudés ou tout autre variété restreinte d’aliments. Souvent, l’humain vivant avec un oiseau "capricieux", après un moment ne se donne même plus la peine de lui offrir de nouveaux aliments. Il pense en lui-même: "À quoi bon, il ne le mangera pas". Chose certaine, si on ne lui en offre pas, il n'aura pas l'occasion de les découvrir!
Certaines personnes croient connaître les goûts alimentaires de leur perroquet et évitent de lui offrir tel ou tel aliment sous prétexte que l’oiseau "n’aime pas ça". En agissant de la sorte, ces gens refusent de reconnaître à l’oiseau le droit de changer d’avis et c’est pourtant souvent ce qui se passe: l’oiseau se ravise et finit par goûter à cet aliment, probablement parce que cet aliment présenté jour après jour est devenu plus familier à ses yeux et par conséquent, moins menaçant. Un aliment, présenté de façon constante passera dans bien des cas, de la case "inconnu", donc inquiétant, à la case "connu" c’est à dire, rassurant. Aimiez-vous les épinards ou les brocolis lorsque vous étiez petit? On a tous le droit de réviser nos positions. Au début, le perroquet ne fera que jouer avec cette nouvelle nourriture puis, il découvrira tranquillement qu’il aime la toucher, la déchiqueter et, ce faisant, il se donnera la chance d’y goûter.
Les perroquets sont suspicieux de nature: peut-être n’avalera-t-il pas la nourriture la première fois, mais au moins il apprendra à ne pas la craindre et, avec un peu de chance, demain il y goûtera et finira par la manger. Cela lui ouvrira de nouvelles avenues pour les prochaines "choses étranges" qu’il trouvera dans son bol. Un oiseau qui a été nourri seulement aux graminées ou à la moulée peut refuser toutes autres formes de nourritures pendant très longtemps. Mais si l’humain persiste, il aura possiblement l’agréable surprise de voir un jour son perroquet tenter l’aventure avec un bout de papaye ou un raisin. Au refuge, nous étions témoins de ce genre de "déblocage" pratiquement toutes les semaines. À partir du moment où le perroquet avait la hardiesse d’essayer un nouvel aliment et si de surcroît il l'avait aimé, croyez-moi, il rattrapait le temps perdu en goûtant tout ce qui lui passait sous le bec.
Que faire?
Les perroquets apprennent et agissent par imitation. Les perroquets imprégnés (eam) ou importés apprendront souvent par l’imitation de leur compagnon ou groupe social, peu importe qu’il soit aviaire ou humain. Vous êtes le modèle de votre perroquet. Donc, à l’heure du repas, invitez votre oiseau à la table ou approchez son perchoir de façon à ce qu’il se sente près du groupe social que vous composez avec votre famille et offrez-lui la même nourriture que celle que vous portez à votre bouche, en encourageant ce dernier à faire de même (tenez toujours compte des aliments proscrits). Vous pourriez être surpris.
Manger est une activité hautement sociale dans le monde des perroquets et le simple fait d’être avec vous à table pourrait faire en sorte que, dans son besoin d’intégration, le perroquet tente de se conformer au groupe, donc d’ingérer la même nourriture que ses compagnons de table. Ce goût pour l’imitation et l’extraordinaire faculté d’adaptation des perroquets crée parfois des conduites assez insolites. Ainsi, Étienne, mon amazone à front bleu en est venu à exiger des ustensiles bien à lui lorsqu’il est invité à la table. Hé oui, Étienne mange avec sa propre cuillère et il semble beaucoup apprécier cette attention. Ce rituel ne se déroule que lorsqu’il est avec nous à la table. Le reste du temps, qu’il soit installé sur un perchoir ou à la volière, il mange tout à fait normalement dans son écuelle. Il semblerait qu’il ait fait dans sa tête l’association: manger à la table = manger comme les humains.
Il est important de récompenser l’oiseau "capricieux" chaque fois qu’il accepte d’essayer une nouvelle nourriture. Regardez-le, exprimez-lui votre satisfaction par une caresse ou une attention, renforcez ce bon comportement. Le message que le perroquet reçoit à ce moment est: je goûte quelque chose de nouveau, c’est bon et en bonus, je reçois l’attention de mon humain… Bonheur!
Si votre oiseau est plus que capricieux, vous pouvez lui offrir de la nourriture moite et chaude. Les perroquets, les plus âgés comme les bébés, aiment se faire nourrir. En réduisant ses carottes en purée et en les lui servant chaudes-tièdes (pas plus de 106°F / 40°C), il aura l’impression que vous le nourrissez. Ça, c’est pratiquement irrésistible pour n’importe quel perroquet.
Vous pouvez aussi lui présenter cette même carotte qu’il a refusée la veille sous une forme différente: en dés, en bâtonnets, râpée ou hachée menu en la passant au robot culinaire. La texture et la forme de l’aliment peuvent faire une grande différence aux yeux de l’oiseau. Pour lui, c’est une nouvelle expérience. Il se vend aussi sur le marché des petites brochettes sur lesquelles on pique des aliments, qui prennent la forme de shish-kebab à suspendre. L’aliment devient alors un délicieux jouet et, tous le savent, les perroquets sont joueurs.
Ce qu’il faut bien comprendre ici, c’est qu’il est indispensable que votre perroquet ait une alimentation variée, autant dans le choix des aliments que dans la forme, la texture, la couleur et le goût. Si vous êtes constant et surtout patient, il est pratiquement certain que votre oiseau en viendra à essayer de nouvelles expériences alimentaires. Tous les perroquets aiment manger et sont fins gourmets en leur genre. Peut-être le vôtre ne le sait-il pas encore, mais soyez patient et ça viendra.
L'anorexie des cacatoès
Comme certains le savent déjà, j’ai un léger faible pour les cacatoès. Ces oiseaux-là me fascinent. Peut-être est-ce parce qu’ils me donnent plus de fil à retordre que les autres espèces parce que l’imagination qu’ils déploient pour contrôler leur bien-être me renverse à tout instant. Il est évident que pour un cacatoès vivant en captivité, le but ultime à atteindre est de capter toute l’attention de ses humains, peu importe le moyen utilisé pour arriver à ses fins.
Les cacatoès mangent très peu à la fois, mais le font souvent. Ce sont des oiseaux très actifs et ils se gardent une marge de légèreté pour pouvoir s’envoler ou sautiller à leur guise. De plus, ils sont en général assez sélectifs quant à la nourriture qu’ils portent à leur bec (je dis bien en général…je connais aussi des goinfres…). Ce sont des gourmets, pas des gourmands. Ces oiseaux sont aussi, à notre grand dam, excessivement observateurs et imaginatifs et très dépendants de l’attention que leur entourage leur accorde. Quand on mêle tous ces ingrédients, cela donne… le roi des manipulateurs du monde aviaire!
Ces magnifiques oiseaux sont, plus souvent qu’autrement, les favoris de ces dames et, comme tout le monde le sait, nous, les femmes, venons au monde avec le gène de la culpabilité et de l’inquiétude. Naturellement, cette "peccadille" n’échappe pas à l’œil avisé de notre charmant cacatoès!
Si par malheur, le peu d’appétit de votre cacatoès semble vous inquiéter et que l’oiseau en prend connaissance, mesdames vous êtes cuites. Pour peu que le cacatoès remarque qu’il attire votre attention en mangeant peu ou en refusant sa nourriture, bingo! Il se servira de ce moyen pour pousser à son paroxysme votre insécurité et votre inquiétude. Les cacatoès des Moluques et Alba sont diplômés ès anorexie quantique (ils mangent très peu, juste assez pour ne pas mourir de faim et rarement devant vous).
La source du problème réside dans le fait que plus vous vous acharnez à faire manger le cacatoès "anorexique", plus il refusera la nourriture ou n’acceptera que les friandises qu’il aime et que vous lui procurerez, en essayant de vous convaincre que "c’est mieux que rien du tout". Pas bête la guêpe!. L’oiseau réussit à capter toute votre attention et de plus, on ne lui offre que des gâteries… Le paradis pour un cacatoès! Là où le bât blesse, c’est que ce genre de comportement peut avoir de sévères répercussions sur la santé de votre oiseau si ce manège dure trop longtemps.
Dans presque tous les cas, l’anorexie chez les cacatoès est instrumentalisée (la plupart du temps créée par une de ces femmes qui aiment trop). À ce point, je suggère tout simplement d’offrir de la nourriture de qualité à l’oiseau (selon vos convictions à vous et non les siennes) et de quitter la pièce et de ne rien relever en constatant qu’il n’a pas touché son écuelle; de faire comme si on n’avait pas remarqué. Si l’oiseau ne peut plus obtenir d’attention en agissant de la sorte (Madame n’étant plus là ou ne remarquant plus qu’il n’a pas mangé), il ne se laissera pas affamer pour rien. S’il a faim, il mangera. Le plus drôle de l’histoire, c’est que ça marche presque à tous les coups, mais encore une fois, la persistance et la constance sont de rigueur, sinon, il recommencera son petit manège. À manipulateur, manipulateur et demi!
© Johanne Vaillancourt 1998 - 2009
Photos
Kiwi, eclectus roratus, Patricia Heulin
Clémentine, psittacus erithacus erithacus, CAJV
Reubens, deroptyus accipitrinus, Stéphanie Duval
Kiwie, amazona aestiva, Lucia Bouffard-Tocat
Kaurie, psittacus erithacus erithacus, Laurence Gaudin
Cacatua goffini, Ghyslaine Piette
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